Le baùs des Irrégés.

Côté Rabat, la Roche ronde est une impressionnante falaise. Côté Saurat, ce n’est qu’un simple rocher émergeant de la forêt. Il portait autrefois le nom de Baùs des Irrégés. On contait jadis, dans le village, la légende suivante.

Dans les ruines du château vivaient deux frères dans le plus parfait dénuement. On les nommait les Irrégés.

Dans la vallée de Saurat, plusieurs jeunes filles avaient disparu. Une grande émotion avait envahi la vallée et, comme la situation devenait insupportable, les habitants se réunirent. Il fallait trouver le coupable. Après une longue discussion, l’un d’eux laissa entendre que les frères n’étaient peut-être pas étrangers à l’affaire. L’idée fit son chemin et, faute de mieux, les autres se rangèrent à son avis. Dès lors, on soupçonna les Irrégés des pires méfaits. On décida donc de se saisir d’eux.

Cependant, leur antre était réputé imprenable et les villageois ne voyaient pas le moyen d’arriver à leur fin. Ils demandèrent donc à l’homme qui avait soupçonné les deux frères de donner son avis. Celui-ci plongea dans une profonde réflexion puis prit la parole :

- Donnez au tailleur la plus belle toile que vous puissiez trouver pour qu’il y taille deux tuniques et, si vous me donnez les garçons les plus hardis du village, je me charge du reste…

On réunit tous les moyens dont pouvaient disposer les villageois. Le tailleur confectionna les tuniques dans un tissu du plus bel effet. On désigna les jeunes gens les plus osés et notre homme prit la tête de la petite troupe qui s’enfonça dans la forêt. Après une longue marche, ils arrivèrent près de l’endroit où vivaient les frères. Le chef donna les dernières instructions puis, prenant les tuniques, alla les déposer, de la manière la plus visible, à l’endroit où ils ne pouvaient échapper à aucun regard.

Les deux frères ne tardèrent pas à découvrir les vêtements. Ils crurent qu’il s’agissait d’un don des crésents, comme il était coutume de leur en faire. Ils quittèrent aussitôt leurs haillons pour s’en vêtir.

Malheureusement pour eux, ils s’y empêtrèrent. Les jeunes gens sortant alors de leur cachette se précipitèrent sur eux. Ils n’eurent pas grand mal à maîtriser le plus âgé. L’autre, plus hardi se débattit et tenta de s’échapper. Le chef voulut se saisir de lui et il s’ensuivit une brève lutte. Le malheur voulut que, perdant leur équilibre, les deux hommes soient précipités dans le vide.

Le prisonnier, quant à lui, fut condamné à périr dans les flammes d’un bûcher.

Le terme de Irrégé désignait les hérétiques. Ceux-ci allaient par deux pour convertir la population et donner le mélioramentum aux gens qui devenaient ainsi des crésens ou le consolamentum aux mourants pour sauver leur âme. Traqués par l’inquisiteur de Carcassonne, ils étaient jugés et condamnés au bûcher alors que le simple contact avec eux condamnait les crésens à diverses peines, généralement très sévères.

Le château de Miramont, qui appartenait à la famille des Sanche, servait, comme bien d’autres châteaux et demeures de la région, de refuge aux Irrégés.

Ce château était bâti au sommet des à-pics surplombant le village de Rabat. On peut y découvrir les vestiges. Il existait déjà en 970. Il fut détruit en 1227 par le Comte de Foix, sous prétexte d’hérésie de la famille des Sanche.

Comme Roquefixade, Montségur, Foix et bien d’autres châteaux, il était bâti sur un éperon rocheux, et quasiment imprenable.

Ces faits, transmis par la mémoire orale, sont à l’origine de légendes.

Le fait que des jeunes filles aient pu disparaître n’est pas invraisemblable. La pédophilie et les enlèvements de jeunes filles ne sont pas propres à notre époque. Il était même sans aucun doute chose courante dans des temps reculés. Que l’on ait accusé les Irrégés sans preuves, faute d’autres suspects, n’est pas, non plus, inimaginable.

Et comme il fallait trouver des coupables…

Quant à la peine infligée, c’était bien celle que l’on réservait aux hérétiques.

Je vous laisse donc imaginer quelle est la part de vérité que l’on peut attribuer à cette légende…